Les éditions Transignum
Wanda Mihuleac
Fred Forest
Le Mètre carré artistique est un concept que Fred Forest nous a gracieusement autorisés à habiter. En accord avec la déclaration du Collectif Anonyme XX1 et avec Wanda Mihuleacnous nous engageons à endosser toutes les responsabilités physiques et mentales pour l’hébergement gracieux que nous accorde pour un an à partir de ce jour Fred Forest sur son mètre carré. Notre engagement au niveau des paroles, de nos écrits et de nos gestes, n’engage que nous aussi bien dans la réalité que dans l’imaginaire artistique. Par ailleurs nous maintiendrons de bonnes relations de voisinage avec des personnes connues oui inconnues qui sont appelées à nous rencontrer ne serait-ce qu’épisodiquement selon les règles de la distanciation sociale à moins d’un mètre du pourtour du mètre carré en question. Nous ne ferons par contre jamais appel à l’armée pour tenter de les en éloigner.
En conséquence nous, artistes, poètes, comédiens, plasticiens, musiciens, déclarons que nous occuperons le mètre carré artistique à notre convenance comme point focal de l’expression créatrice d’une liberté irréductible. Chacun sera invité à y séjourner et à le meubler à sa convenance, à y entreposer des objets ou des mots, à l’habiter en y hébergeant toute personne ou accessoire utiles à ce qu’il jugera bon d’y inviter, qu’il s’agisse d’une performance ou de tout autre intervention.
Ce document ne doit jamais faire l’objet d’une transaction commerciale sous peine de devenir de facto apocryphe.
Sur proposition de Wanda Mihuleac
Fred Forest héberge Wanda Mihuleac et le Collectif anonyme XXI
dans le Territoire du mètre carré artistique
En 1977, Fred Forest créait l’événement avec son projet du mètre carré artistique, petit terrain acheté à la frontière franco-suisse et dont le premier m2 devait être mis aux enchères par un commissaire priseur patenté. Œuvre à la fois conceptuelle et sociologique, au retentissement médiatique considérable, elle mettait en miroir la spéculation dans le marché de l’immobilier et celui de l’art. L’artiste va alors créer à Anserville dans l’Oise le « territoire du mètre carré artistique », qu’il déclare indépendant et dont il érige lui-même les règles de gouvernement.
Près de vingt ans plus tard, avec Le Territoire des réseaux, il réitérait une vente retentissante, cette fois-ci d’une « parcelle-réseau » sur le web naissant. Et lors d’une exposition à Monaco, il basculait l’empreinte réelle du pied de qui se prêtait au jeu, dans l’espace virtuel, marquant ainsi la naissance d’un nouveau monde que l’être humain arpentait pour la première fois.
Wanda Mihuleac et les artistes et poètes constituant le collectif Anonyme XXI, hébergés gracieusement, vont habiter ce territoire en le performant, performances qui sont filmées. Territoire à la fois réel, virtuel, abstrait et imaginaire, il donne lieu à des actions et interactions fort diverses.
Certains artistes se confrontent à la difficile équation entre surface et espace, comme Davide Napoli avec Horizon carré, qui « explore le possible tragique du corps par des dimensions à chaque fois différentes qui se croisent et se déstabilisent en recherchant un équilibre fantôme entre l’espace et le temps » ou Michiko Fou avec Le M2… cet espace ultime où le corps s’est effondré, interrogeant aussi la trace, entre marque physique et mémoire.
D’autres jouent avec les codes mis en place par Fred Forest. Carole Carcillo Mesrobian lit le contrat d’hébergement qu’il a fait établir comme protocole, tout en circonscrivant son intervention dans l’espace et le temps par une entrée et une sortie d’un mètre carré délimité au sol. Alain Snyers, avec un plaisir évident, se fait agent immobilier bonimenteur avec Le mètre carré à vendre.
Philippe Tancelin, lui, fait entrer en résonance la contrainte du m2 sur un corps, le sien en l’occurrence, avec notre vécu actuel, les mesures coercitives mises en place suite à la pandémie de la Covid-19, dans Envahissons l’instant. Alors qu’Amélie Pironneau nous transporte au bord de la mer. Le mètre carré qu’elle dessine sur le sable et qu’elle va occuper se fait métaphore du temps, entre présence, évanescence et rémanence.
Chacune des performances rend l’espace-temps inhérent au Territoire du mètre carré, par la présence physique éphémère et la permanence de la vidéo, une entrée et sortie du territoire ou un déjà-là. L’ensemble participe du projet du mètre carré artistique, œuvre relationnelle, en le vivifiant et l’actualisant.
Evelyne Bennati
Critique d’art