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« Le temps n’a plus de feuilles » : Disparition de Bernard Noël

Bernard Noël nous a quittés à l’âge de 90 ans.

Né en 1930 à Sainte-Geneviève-sur-Argence (Aveyron), Bernard Noël a été  élevé par ses grands-parents. Après des études de journalisme à Paris il trouve sa vraie vocation, la littérature.

Après la publication de ses premiers poèmes, il écrit le roman Le château de Cène, sous le pseudonyme d’Urbain d’Orlhac, en 1969. Ce texte, un roman érotique, lui vaut des poursuites pour outrage aux bonnes moeurs. Il explique s’être libéré du traumatisme de sa génération, la guerre d’Algérie.

Ecrivain et poète engagé, romancier, historien, reporter, polémiste, sociologue, critique d’art, éditeur, il fait de la dénonciation de la censure et de l’oppression  des constantes de son œuvre.

Son combat contre la « sensure », notion construite par Bernard Noël dans son texte L’Outrage aux mots, écrit et publié en 1975, ne cessera jamais. Il y explore le détournement de sens de certains vocables et les abus de langage du pouvoir en place qui lui ont valu  des poursuites pour outrage aux bonnes mœurs.

Il conçoit cette notion à l’issue du procès qui lui est intenté après la parution du Château de Cène. Sa condamnation découle d’une compréhension erronée du roman par ses détracteurs. Il inscrit la censure dans le contexte politique capitaliste. Elle opère une violence sur la langue par dénaturation. Les agents à l’origine de la sensure vont donc détourner le sens des mots par des « abus de langage ». 

Il a dirigé la collection « Textes » chez Flammarion dans laquelle furent publiés Claude Ollier, Marc Cholodenko, Arthur Silent, Jean-Claude Montel, William Carlos Williams, ou encore E. E. Cummings, notamment… 

Salué, entre autres, par Louis Aragon, André Pieyre de Mandiargues, Yves Bonnefoy, Claude Esteban, Michel Polac, Philippe Sollers, Jacques Derrida et Maurice Blanchot, l’Académie française a consacré l’ensemble de son oeuvre poétique en 2016 avec son Grand Prix de poésie.

Le jardin d’encre

et maintenant que faire avec le rien où respirent les mots 
tandis que les choses multiplient leurs formes dans l’espace 
et que la vie remue ses rides ou les replie au fond du cœur 
une illusion plane partout que l’on voudrait changer en certitude 
buée de buée nous a-t-on prévenus mais qui croire dans la fumée 
on essaie tout à tour la langue le rêve la plume et le couteau 
puis la tête s’en va plonger parmi les salaisons de la littérature 
parfois quelques petites ombres donnent en passant un peu de goût à l’air 
un péril mystérieux parfume leur trace une amertume un manque 
puis la bouche blêmit pour avoir accueilli ces épaves de sensations 
au lieu d’en faire des images ou bien ce frêle bruissement sur les lèvres 
cependant un souffle sur la tempe suscite le désir de croire encore un peu 
de croire que maintenant fera surgir de maintenant le Tu 
et sa réserve de visages assez pour égarer le temps 
mais à quoi bon l’interminable si la vie n’est pas rejouée 
quand l’herbe aura poussé sur la langue on trouvera peut-être 
l’articulation du mystère parmi les restes d’une phrase.  
 
Bernard Noël, Le Jardin d’encre, L’oreille du Loup, 2008 (cette édition comprend une traduction du texte en espagnol, par Myriam Montoya), p. 31 
 

Bernard Noël, Entretien avec Laure Adler, France Culture, 2012

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